sexta-feira, 20 de janeiro de 2012

Revue internationale de politique comparée 2005/3 (Vol. 12) 170 pages


Vous consultezLa gouvernance de gauche face aux processus de mondialisation : la cas du Brésil

AuteurMarcelo de A. MEDEIROS du même auteur


Le Parti des travailleurs (PT) célèbre en 2005 ses vingt-cinq ans. Toutefois, les festivités, malgré leur omniprésence dans tout le territoire national, semblent cacher un certain arrière goût d’amertume et de déception; sentiment, d’ailleurs, qui anime aussi bien certains membres du PT que certains citoyens brésiliens. Le décalage entre le discours d’opposition tenu vingt-trois ans durant et les politiques publiques mises en place pendant les deux dernières années au pouvoir constitue le point de départ de ce malaise politique. Bien entendu ce n’est pas la première fois – ni la dernière – qu’un tel phénomène se produit : le socialisme français sous François Mitterrand ou le péronisme argentin sous Carlos Menem en sont des exemples récents parmi de nombreux autres.
2 Pourtant, ce qui distingue le cas brésilien des autres est, notamment, que les attentes de l’électorat vis-à-vis d’un gouvernement de gauche sont immenses, le pays n’ayant jamais connu, au cours de son histoire, une expérience comparable. Peut-être s’agit-il d’une question de définition, largement dépassée aujourd’hui, puisque la gauche ne se positionne plus comme antithèse de la droite. Dans le même temps, certaines distinctions, en particulier autour de la notion d’égalité, peuvent encore servir de fondement à la différenciation des positions politiques[1] [1] Aujourd’hui, l’éventail des positions politique correspond...
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. La victoire de Lula au scrutin d’octobre 2002 a engendré, de la sorte, un formidable enthousiasme, et l’espoir qu’elle débouche sur la formation d’un gouvernement fidèle aux valeurs sociales et au sens de la justice qui marque la gauche historique. Pourtant, le PT s’est montré, au gouvernement, bien moins monolithique que ce que l’on n’attendait, certaines de ses tendances arborant une affinité avec les idéaux libéraux de la droite traditionnelle. À l’issue de quel processus la gauche brésilienne a-t-elle fait les siens les principes habituellement associés à la droite ? Par quelle logique a-t-elle mis en place une conception de la gouvernance qui lui serait propre ?
3 Pour répondre à ces questions, l’hypothèse de départ sera que cette conception de la gouvernance est issue d’une demande croissante d’efficacité économique qui découle elle-même du processus de mondialisation et, pari passu, de la demande grandissante de mécanismes démocratiques dans la vie politique quotidienne. Pour cela, ce texte s’organise en deux parties : il recense d’abord les conceptions théoriques développées ces dernières années sur la mondialisation et la gouvernance; puis il applique cette grille de lecture conceptuelle au cas du Parti des travailleurs et de la gauche brésilienne au pouvoir.

Sur la mondialisation et la gouvernance

4 Les notions de mondialisation et de gouvernance témoignent de la nécessité, pour les sciences sociales, de forger des nouveaux outils interprétatifs qui puissent rendre compte de la réalité du XXIe siècle. Depuis la dernière décennie du siècle passé, l’échiquier politique post Guerre Froide, d’une part, et la révolution informatique, d’autre part, exigent une redéfinition de l’analyse des rapports entre l’État et la société.
5 Polysémique, le terme de “mondialisation” recouvre à la fois des domaines spécifiques comme le commerce ou les finances, mais aussi des domaines plus larges comme les cultures, le social et le politique. Par ailleurs, la mondialisation revêt une double conséquence : celle de développer l’interdépendance et, par conséquent, celle d’imposer des mutations à l’État-nation. L’intégration régionale, notamment celle de l’Europe, s’annonce, alors, comme une option concrète, un contrepoids réaliste à la mondialisation de l’ordre politico-économique. Ou, au moins, elle se présente comme le format le plus adapté au nouveau découpage international, caractérisé par un désordre profond.
6 Somme toute, la mondialisation bâtit un inextricable système en réseau qui, par sa complexité et ses interdépendances, accélère l’émergence de nouvelles configurations politiques, tant en ce qui concerne les politiques sociales que la pratique de la démocratie. Dans ce contexte, l’exercice des fonctions gouvernementales, selon les configurations habituelles, semble inadapté pour répondre avec efficacité aux nouveaux enjeux contenus dans la dynamique de la mondialisation.
7 C’est donc pour les affronter qu’a été esquissé un nouveau concept, qui prend en compte les modes de fonctionnement du système international et du comportement de ses principaux acteurs. Selon Brian Hocking et William Wallace, “alors que les gouvernements s’appuient sur une autorité formelle et, au final, sur la coercition, la gouvernance passe par la combinaison de mécanismes à la fois gouvernementaux et non-gouvernementaux qui reposent sur des objectifs communs et sur le consensus plutôt que sur la coercition”[2] [2] Cf. HOCKING B. , WALLACE W. , Multi-Level Governance :...
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. Bien que forgée pour être appliquée aux cas des processus d’intégration régionale, singulièrement celui de l’Union Européenne, cette définition s’applique également aux deux autres échelons de la politique : l’État et le système international. Ces trois échelons se trouvant enchevêtrés, la gouvernance repose non seulement sur eux, mais également sur les interfaces qui les font se rencontrer, dans la logique de la gouvernance à niveaux multiples.
8 Dans le cadre de cette gouvernance à niveaux multiples, les processus d’intégration régionale constituent un catalyseur du processus de réforme des États, dans la mesure où, de façon simultanée, ils mettent en place les transferts de compétences vers le niveau supranational et encadrent la quête de pouvoir des unités sub-nationales. L’espace politique de l’intégration régionale impose donc de nouvelles formes d’arrangements institutionnels, au sein desquelles les principaux acteurs réapprennent l’art de gouverner. C’est en prenant en compte ce contexte que l’on peut analyser les conditions d’exercice du pouvoir par la gauche brésilienne depuis 2002.

La gauche brésilienne au pouvoir

9 Lorsque Jacques Chirac a succédé à François Mitterrand à l’Élysée ou bien Gerhard Schröder à Helmut Kohl à la chancellerie allemande, les électeurs se sont attendus à des réformes politiques poussées, compte tenu du changement idéologique que portaient ces successions. Or, aujourd’hui on peut constater qu’il n’y a pas eu de bouleversement et que l’administration de la plupart des dossiers contenant des enjeux importants a conservé grosso modo le cap défini par les gouvernements précédents. L’interdépendance croissante qui marque l’échiquier politique international affaiblit beaucoup la marge de manœuvre des gouvernements nationaux qui doivent opérer des ajustements politiques, voire procéder à des révisions, s’ils veulent concilier les volets économiques et sociaux de leur action. Afin d’expliquer la façon dont la gauche brésilienne au pouvoir tente de relever les défis de la gouvernance face aux processus de mondialisation, il est nécessaire de revenir sur la logique du fonctionnement interne du Parti des travailleurs.

Prolégomènes : la généalogie du PT[3] [3] Voir à ce sujet l’entretien avec Roberto Romano, professeur...
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10 Né il y a vingt-cinq ans, le PT trouve son assise principale dans les rangs de l’église, de l’université et des syndicats[4] [4] SINGER A. , O PT, Publifolha, São Paulo, 2001. ...
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qui lui fournissent des troupes militantes actives et qui, depuis ses débuts, affirment leur différence vis-à-vis des autres organisations en respectant une éthique partisane rigoureuse[5] [5] CHACON V. , História dos Partidos Brasileiros, Editora da...
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. Dans un pays où le personnel politique est perçu par les citoyens comme une des sources le plus redoutable de la corruption, le thème de l’éthique constitue un véritable leitmotiv dans les discours du PT[6] [6] Voir KECK M. -E. , Workers’ Party and Democratization in...
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. Si, au fil des années, le PT est devenu progressivement une mosaïque de “tendances” hétérogènes, il n’a pas pour autant renoncé à son discours social et démocratique, qui constitue un élément de fédérateur de toutes ses tendances.
11 Parti urbain par excellence, le PT a engagé son implantation nationale à partir des grandes métropoles. C’est dans les villes de Fortaleza, Porto Alegre, Recife et São Paulo[7] [7] SINGER P. , Um governo de esquerda para todos : Luiza...
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que le PT a entamé son expérience du pouvoir[8] [8] Aujourd’hui le PT dirige 412 mairies, sur un total d’environ...
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. Ces administrations municipales servent, en partie, de vitrine à la mise en place de projets de participation plus active des citoyens dans la gestion de la chose publique. C’est ainsi que l’on voit, par exemple, se développer la pratique du budget participatif. Cependant, ces administrations se trouvent confrontées à des difficultés liées à la mise en pratique de l’orthodoxie morale portée par le discours du PT. Suivre, au pouvoir, l’éthique défendue dans le discours électoral se révèle quasiment impossible. Les alliances contractées avec d’autres partis détournent le PT de la pureté définie par sa rhétorique et tendent à le rapprocher du modèle partisan traditionnel au Brésil. Cependant, l’expérience gestionnaire du PT ne s’arrête pas au niveau municipal. Au cours de la période 1999-2002 il a exercé, par exemple, le pouvoir dans deux unités fédérées importantes du Brésil, l’État du Rio Grande do Sul et le District Fédéral, dirigés respectivement par Olívio Dutra et Cristovam Buarque. Compte tenu de leur expérience, ils ont été appelés par Lula en 2003 pour rejoindre son gouvernement, le premier prenant le nouveau portefeuille des Villes, le second celui l’Éducation nationale.
12 Lula a été trois fois candidat malheureux à la présidence de la République avant de prendre les rennes du pouvoir. Dispensant un discours fondé sur la négation des régimes internationaux existants et prônant l’affirmation de l’indépendance nationale, le PT a longtemps été associé, par les classes moyennes et les élites industrielles et financières, au risque du chaos. De plus, les liens que le PT entretient avec le Mouvement des travailleurs sans terre (MST) ont accentué cette peur du désordre dans l’imaginaire de cette partie de la population. En conséquence, le Parti des travailleurs a choisi de modérer son discours en vue du scrutin fédéral de 2002[9] [9] En 2002 a eu lieu non seulement le scrutin présidentiel,...
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. Si les projets de réformes sociales ont été conservés, ils ont associés à un discours relatif à la stabilité de l’ordre politico-économique; discours qui a été confirmé par le choix du candidat à la vice-présidence aux côtés de Lula : José de Alencar, entrepreneur de succès, ancien président de la Fédération des Industries de l’État de Minas Gerais, aussi ancien vice-président de la puissante Confédération Nationale de l’Industrie et membre du Parti Libéral (PL). Avec un tel profil, il a conféré à la candidature de Lula une caution non négligeable, capable, dans une certaine mesure, de rassurer les secteurs sociaux les plus conservateurs.
13 Le PT constitue un corps hybride, pour utiliser un terme génétique. Sa matrice première, déjà composite, est devenue encore plus complexe lorsque sont intervenues les alliances en vue du scrutin présidentiel. Malgré la victoire de Lula, la majorité législative fragile obtenue par le PT exige une unité dont ce parti n’a jamais disposé. Afin d’échapper à cette situation, le gouvernement a cherché à élargir la coalition qui le soutient, principalement en direction des forces de droite. En effet, les clivages internes au PT s’expriment de façon tellement intense, qu’ils ont débouché à plusieurs reprises sur des scissions et sur la création de partis d’opposition[10] [10] C’est le cas de la création du Parti socialisme et liberté...
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. Ainsi la fidélité partisane est-elle devenue aujourd’hui le mot d’ordre des dirigeants du PT, et la discipline au Congrès, la pierre angulaire de leur action. C’est dans ce contexte difficile, et face à la mondialisation, que ces derniers tentent de définir les politiques à la fois viables et efficaces.

Les redéfinitions politiques

14 Depuis son arrivée au pouvoir, la gauche brésilienne au pouvoir a adopté une logique de continuité avec les politiques libérales. On a pu penser qu’il “ne s’agissait que d’un plan de transition pour conquérir la confiance du marché et, ensuite, pouvoir commencer à baisser les taux d’intérêt, augmentés dès la première réunion de la commission de la Banque centrale”[11] [11] “Responsabilité” est employé ici au sens de l’anglais...
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. Cependant, “pour les cadres du PT et a fortiori les membres du nouveau gouvernement, les discours de rupture, l’affrontement direct avec les marchés, la redistribution à grande échelle du revenu par des moyens fiscaux sont avant tout la promesse de l’échec, qui déboucherait sur la répression sociale et l’affaiblissement des institutions démocratiques”[12] [12] SGARD, Jérôme, “Le réformisme radical de Lula”, Critique...
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. Conscient de la vulnérabilité extérieure du pays, Lula a choisit d’en préserver la crédibilité, fondée sur l’application des règles dictées par le consensus de Washington. Il mène ainsi une politique d’inspiration libérale qui vise la réforme de l’État par le biais de la restructuration de ses institutions publiques ainsi que de l’insertion internationale du pays.
15 La restructuration des institutions publiques au Brésil s’inscrit dans le contexte du retour à la démocratie. Elle se situe dans le sillage d’une tendance mondiale devenue évidente à partir de la moitié des années quatrevingt. Deux paradigmes sont alors devenus incontournables : le programme Next Steps au Royaume-Uni et le programme National Perfomance Review aux États-Unis. Le point central en est la quête de performance fondée sur le binôme “coûter moins, travailler mieux”, le modèle interventionniste keynésien étant considéré comme incapable de répondre aux défis de la mondialisation. Ainsi les changements reposent-ils sur l’impératif d’un ajustement fiscal et d’une amélioration des méthodes administratives[13] [13] REZENDE, Flávio C. , Por que falham as reformas administrativas ?,...
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. Au Brésil, sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso, la création du ministère de l’Administration fédérale et de la réforme de l’État (MARE), en 1995, avait pour objectif de réformer les institutions brésiliennes selon la logique de la responsabilité[14] [14] BRESSER PEREIRA, Luiz Carlos, CUNILL GRAU, Nuria, O público...
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, c’est-à-dire de redéfinir les rapports entre la conception et la mise en œuvre des politiques publiques, en octroyant plus d’autonomie aux acteurs situés au bout de la chaîne et en favorisant, de la sorte, un processus de déconcentration de compétences. La mise en place de cette réforme a reposé sur la création d’agences exécutives et “d’organisations sociales”[15] [15] Au Brésil, les “organisations sociales” constituent...
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, telles que l’Agence nationale de télécommunications (ANATEL), l’Agence nationale de l’énergie électrique (ANEEL) ou l’Agence nationale du pétrole (ANP). Un grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) est venu s’ajouter à l’armature institutionnelle formelle existante, pour jouer un rôle de médiation dans les transactions entre l’État et la société.
16 Cette réforme n’a pas été conçue par le PT, mais par le Parti de la sociale démocratie brésilienne (PSDB) pendant le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso. Malgré sa posture fort critique à l’égard de cette politique lorsqu’il se trouvait dans l’opposition, le Parti des travailleurs en a conservé les grandes lignes, une fois au pouvoir. C’est ainsi que les dossiers de la sécurité sociale et de la réforme fiscale ont été repris, de même que celui de la réforme dite “politique” consacrée aux questions de la justice, des partis politiques et du système électoral. Le PT a donc endossé la proposition de transformation des méthodes administratives qui s’accompagne d’un changement en profondeur du système politique lui-même. La gestion de tous ces dossiers suit la ligne qui avait été définie par la socialdémocratie de Cardoso et parvient même à être plus efficace que celle de son prédécesseur, dans la mesure où le PT, contrairement au PSDB, n’a pas face à lui une opposition unie et bien orchestrée. Au contraire, le Parti des travailleurs doit faire face à une opposition qui non seulement est très proche de lui du point de vue idéologique, mais qui a même constitué sa propre matrice.
17 Pour le dossier de la sécurité sociale, par exemple, “une des premières tâches du gouvernement Lula, dans sa préoccupation prioritaire de diminuer les déficits, fut de reprendre la réforme des retraites des fonctionnaires là où les résistances du Congrès, et tout particulièrement du PT, avaient obligé le gouvernement Cardoso à la laisser”[16] [16] D’ARCY F. , “Dix-huit mois après l’accession de Lula...
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. Il en va de même pour le salaire minimum qui, depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, suit pratiquement une évolution identique à celle constatée pendant la gestion du PSDB ; soit une courbe qui reste plafonnée par les niveaux d’inflation, et qui contraste vigoureusement avec la promesse électorale d’un salaire minimum digne[17] [17] Lors de la campagne électorale, Lula a promis d’augmenter...
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. Dans le domaine fiscal, la réforme de la Contribution provisoire sur les mouvements financiers (CPMF) avait fait l’objet d’une action directe d’inconstitutionnalité de la part du PT lorsqu’il se trouvait sur les rangs de l’opposition, mais elle est maintenue par Lula depuis qu’il est chef du gouvernement et soutenue par ses partisans. Dans le domaine financier, la discussion sur l’autonomie de la Banque centrale, instance responsable du contrôle de l’inflation ainsi que de la gestion des taux de changes et d’intérêts[18] [18] Le Comité de la politique monétaire (Copom) de la Banque...
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, illustre la convergence de vues entre la social-démocratie de Cardoso et la gauche incarnée par Lula, autour de l’idée d’une autonomie de l’autorité monétaire vis-à-vis du politique[19] [19] WHITEHEAD L. , “Idéias econômicas, doutrina e política...
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18 La restructuration des institutions brésiliennes sous la houlette du PT est donc conçue et mise en place en conformité avec les principes prônés par la tradition libérale, les contraintes économiques s’imposant aux demandes sociales. Le recul de l’État semble constituer une condition sine qua non de la mise en place d’une nouvelle gouvernance, qu’elle soit de gauche ou de droite. Ainsi, au niveau national, le gouvernement PT mène-t-il une politique conforme au modèle de la “démocratie de marché”, et se donne-t-il pour objectif de rendre l’administration efficace et transparente, de la placer sous le signe d’une responsabilité austère et permanente, afin que la dynamique de mondialisation avec ses acteurs hégémoniques et ses régimes internationaux ne heurte pas les soubassements du système économique et politique.
19 La porosité des frontières rend la dynamique intérieure hautement dépendante des forces exogènes. La politique extérieure ainsi que l’insertion internationale du pays jouent de ce fait un rôle essentiel dans la gestion des affaires publiques. Dans ce domaine aussi, la politique menée par le PT au pouvoir contraste avec le discours qu’il proposait dans l’opposition.
20 Depuis la moitié des années quatre-vingt, le Brésil tente de relancer les processus d’intégration régionale dans le cône sud de l’Amérique. Les gouvernements démocratiques d’Alfonsín et de Sarney ont engagé le rapprochement entre l’Argentine et le Brésil qui a débouché en 1991, avec le concours du Paraguay et de l’Uruguay, sur la mise en place du Marché commun du sud – Mercosur. Cet ensemble, malgré quelques obstacles inhérents à toute expérience d’association entre nations souveraines, s’est peu à peu transformé en pierre angulaire de l’insertion internationale de ses membres. Le Mercosur est devenu à la fois un instrument pédagogique pour la mondialisation et un marché substantiel. Substantiel dans la mesure où il signifie pour ses membres, en particulier pour le Paraguay, l’Uruguay et l’Argentine, la possibilité d’engager des économies d’échelle et, ainsi, d’essayer de reconstruire certaines filières productives, démantelées par les crises économiques successives. Pour le Brésil, le Mercosur constitue un marché vers lequel il exporte essentiellement des produits à très forte valeur ajoutée[20] [20] Voir le tableau situé en annexe de cet article. ...
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. Bien entendu, le Marché commun du sud ne reproduit pas les formules du régionalisme fermé prôné par la CEPAL dans les années soixante. Au contraire, son édification repose sur la conception du regionalismo hacia afuera, ou “régionalisme tourné vers l’extérieur”, défendu cette même CEPAL, qui a dû revoir ses postulats à la fin des années quatre-vingt[21] [21] Voir MEDEIROS M. , La Genèse du Mercosud, Paris, L’Harmattan,...
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. En tant qu’instrument d’insertion dans la mondialisation, le Mercosur pourrait être comparé à un matelas dont la mission est d’amortir l’impact brutal de la concurrence avec les pays les plus industrialisés.
21 Mais le Mercosur repose depuis le début et, avant tout, sur un projet politique. Limité à l’encadrement de la coopération intergouvernementale, ancré sur une quasi-absence de supranationalité et reposant sur des liens d’interdépendance tissés progressivement, le Mercosur a été créé par un pacte qui vise la formation d’une communauté latino-américaine de nations[22] [22] Selon le préambule du Traité d’Asunción, “une union...
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. Cet objectif, à l’instar de l’Union européenne, s’esquisse à partir de l’économie, pour prendre ensuite une envergure politique.
22 Au pouvoir, le PT a donné continuité à ce projet, mis en œuvre au fil des années par les diplomates brésiliens, connus pour leur professionnalisme. En 2002, la nomination de l’ambassadeur Samuel Pinheiro Guimarães au poste de secrétaire général de l’Itamaraty[23] [23] Le secrétaire général est le numéro deux dans la hiérarchie...
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, laissait envisager la possibilité d’un changement conséquent dans politique externe brésilienne. Lorsqu’il était à la tête de l’Institut de Recherches sur les Relations Internationales ( 1995-2001), Guimarães a toujours adopté une posture fort critique à l’égard de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et, de façon plus générale, vis-à-vis des principes libéraux incarnés par les régimes internationaux. Pourtant, à l’Itamaraty, il s’est limité à une modification dans la tonalité du discours, menant une politique presque identique à celle de ses prédécesseurs, compte tenu de l’impératif d’adaptation à ces régimes internationaux. Lula a d’ailleurs désigné, comme l’avait déjà fait Cardoso en 1994, Celso Amorim comme ministre brésilien des Affaires étrangères. Malgré quelques accommodations politiques nécessaires et intrinsèques à tout processus de renouvellement de gouvernement, Amorim garde le cap d’une diplomatie de compromis plutôt que de confrontation.
23 Dans ce contexte, le gouvernement Lula a développé ses stratégies de politique étrangère sur trois axes : la ZLEA, l’accord de libre échange avec l’Union européenne et les rapports que l’on peut qualifier de Sud-Sud. Bien entendu ces axes s’interpénètrent et s’influencent les uns les autres. Depuis le début des négociations, la ZLEA constitue un projet polémique. C’est aussi un des thèmes de politique étrangère qui arrive à mobiliser le plus l’opinion publique brésilienne. Même le Mercosur, pourtant priorité du pouvoir exécutif fédéral, ne parvient à susciter les passions ni des citoyens ni même des parlementaires, comme c’est le cas, en revanche, de la ZLEA. Et la raison en est évidente : la présence des États-Unis au cœur de la négociation. Des années durant la gauche brésilienne s’est montrée réfractaire à ce projet, dont les pourparlers ont été engagés à Miami en 1994 et qui se donne pour objectif de libéraliser le commerce entre trente-quatre des trente-cinq États qui composent l’Amérique[24] [24] Cuba est exclue de cette négociation. ...
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. En décembre 2000, par exemple, lors d’un déplacement à La Havane, Lula déclarait : “d’abord nous devons défendre les intérêts des pays pauvres, renforcer le Mercosur à travers son élargissement, faire cesser l’embargo contre Cuba et prospérer dans le domaine technologique, afin qu’il dispose d’une égalité compétitive”[25] [25] Voir le site du Parti des travailleurs : h http :/ / www. pt. org. br,consulté...
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. En décembre 2001 encore, la 12e Rencontre nationale du Parti des travailleurs a approuvé, à l’unanimité, une motion contre la participation du Brésil dans la Zone de de libre échange des Amériques : “le PT s’oppose avec cohésion à la ZLEA”, a soutenu Paulo Delgado, alors député, élu dans l’État du Minas Gerais[26] [26] Ibid. ...
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. Et, de façon générale, c’est ainsi que la gauche conçoit la ZLEA : un projet nord-américain de domination hégémonique.
24 Une fois au pouvoir, l’approche de la ZLEA par le PT a été redéfinie en fonction des coûts qui pourraient être attachés à une non-participation. En fait, nonobstant les différends entre les États-Unis et le Brésil, le gouvernement craint qu’un retrait qui ne serait pas suivi par une majorité de partenaires latino-américains puisse susciter une marginalisation du pays, ce qui aurait un impact économique de taille, étant donnée l’importance du marché nord-américain pour les produits brésiliens[27] [27] Voir le tableau situé en annexe de ce texte. ...
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. Lorsque les logiques de négociation – soit unique, soit par blocs[28] [28] Selon la logique de la négociation unique, dite du “single...
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– défendues par les pays en développement, ont prévalu face à la position des États-Unis, qui défendent une négociation fractionnée par pays, on a pu avoir l’illusion d’une cohésion entre Latino-américains, notamment du sud du continent. Cependant, des dissensions intestines dues à des asymétries économiques profondes qui, à leur tour, engendrent des intérêts marchands divergents, brisent en partie l’unité australe. Certains pays ont commencé à négocier séparément et à privilégier la stratégie du cavalier seul. Par ailleurs, les attentats terroristes, les élections aux États-Unis et au Brésil, et l’évolution des tractations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ralentissent le progrès de la ZLEA. Dans l’ensemble, elle semble avoir perdu de son importance dans la hiérarchie des priorités des États. Comme le note Louis Bélanger, “peut-être la ZLEA n’est-elle plus aussi séduisante qu’elle ne l’a été pour les États-Unis. Comme ils ont maintenant l’intention de faire de leur puissante position commerciale un levier pour réguler l’ordre international, les États-Unis préféreraient sans doute utiliser cet instrument de façon plus ciblée vis-à-vis des pays de la région, plutôt que de se trouver pris dans un projet qui les engage déjà”[29] [29] BELANGER L. , “U. S. Foreign Policy and the Regionalist...
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25 Somme toute, le PT rencontre des difficultés à concilier un discours critique vis-à-vis des États-Unis, sous la bannière du combat et par laquelle il affirme son leadership régional, avec une politique gouvernementale pragmatique destinée à prévenir une exclusion du Brésil des tractations commerciales menées par Washington. En d’autres termes, comme l’a annoncé Celso Amorim, l’objectif est de “ne pas enterrer la ZLEA et de maintenir une bonne négociation commerciale avec les États-Unis”[30] [30] “Rompendo a estratégia de cerco no acordo da Alca”,...
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. Les obstacles récemment rencontrés par l’USTR[31] [31] USTR : United States Trade Representative. Branche...
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, auprès du Congrès des États-Unis, pour l’approbation de l’accord signé avec les pays centre-américains (Cafta-RD), constituent un mauvais présage[32] [32] Cafta-RD : Central American Free Trade Agreement –...
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. Toutefois, lors de sa visite au Brésil en avril 2005, la Secrétaire d’État, Condoleezza Rice, a engagé des discussions sur la réouverture des pourparlers de la ZLEA, dans une optique plus ouverte qu’auparavant.
26 Les relations institutionnelles du Brésil, et par extension celles du Mercosur, avec l’Union européenne ne sont pas moins importantes que les rapports entretenus avec les États-Unis[33] [33] Voir le tableau situé en annexe de ce texte. ...
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, mais elles ne sont sans doute pas autant politisées. Au Brésil, ces relations sont perçues de façon plus positive, construites dans l’imaginaire des citoyens comme reposant davantage sur la confiance et comme plus équitables. Selon cette représentation, les objectifs hégémoniques attribués à la politique étrangère suivie par Washington ne sont pas présents, du moins dans la même intensité, dans celle de Bruxelles. Il se peut que cette façon de saisir les rapports entre le Cône Sud et l’Europe trouve une explication dans la différence de nature de ces rapports.
27 En effet, contrairement aux États-Unis, l’UE développe une politique qui dépasse les questions économiques : “la première forme de dialogue établie entre la Communauté européenne et l’Amérique latine a été organisée au début des années 1970, entre la Commission et le Groupe latinoaméricain de Bruxelles”[34] [34] Le Groupe latino-américain de Bruxelles est un organe de...
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. D’une relation qui s’est ouverte sur des questions essentiellement commerciales, on est passé au dialogue politique et à la coopération institutionnelle. Ce dialogue s’est amorcé avec les pourparlers de San José en 1984 et poursuivit avec les échanges avec le Groupe de Contadora, puis avec celui de Rio : “le Groupe de Rio a été perçu par la Communauté comme un mécanisme à même de contribuer à la paix et à la stabilité d’une région dont les frontières incluaient le conflit centre-américain”[35] [35] En 1983, les Chefs d’État de la Colombie, du Mexique,...
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. En ce qui concerne la coopération institutionnelle, l’UE a développé des accords bilatéraux de première, deuxième et troisième génération, respectivement dans les années 1970,1980 et 1990. Ce qui différencie ces accords entre eux est la manière dont l’UE perçoit ses partenaires, les écarts économiques étant de moins en moins pris en compte : “actuellement, (… ) ces accords, toujours de caractère non préférentiel au plan commercial, présentent un cadre de coopération multidimensionnel – économique, commercial, institutionnel et social – et sont généralement fondés dans les articles 113 et 235 du Traité de Rome”[36] [36] Voir VENTURA, Deisy, As assimetrias entre o Mercosul e a...
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. Par ailleurs, l’Union européenne, contrairement aux États-Unis, appelle inlassablement au développement des processus d’intégration régionale en Amérique latine. Elle reconnaît les ensembles régionaux comme partenaires à part entière par le biais de la signature d’accords interinstitutionnels, tel celui conclu avec le Mercosur en 1995[37] [37] PEñA, Félix, “La dimensión económica y comercial en...
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. cette stratégie concorde avec celle de Brasília, qui privilégie, dans la mesure du possible, les négociations commerciales dans le cadre du Marché commun du Sud.
28 L’UE se transforme, de la sorte, en un contrepoids stratégique considérable dans les rapports du Brésil avec les États-Unis. Comme la social~démocratie entre 1994 et 2002, aujourd’hui le gouvernement du Parti des travailleurs tente d’instaurer un équilibre qui procure le plus d’avantages possible au pays. Cependant, s’il doit faire face à des obstacles structurels permanents comme, par exemple, la Politique agricole commune (PAC), des difficultés d’ordre conjoncturel compliquent encore les discussions actuelles avec l’Union Européenne. Parmi ces obstacles, trois méritent d’être signalés : l’élargissement de l’UE, passée de 15 à 25 membres depuis le 1er mai 2004 avec toutes ses conséquences économiques; le processus de ratification du projet de Constitution européenne par chacun des États; et les changements apportés, d’une part, par les dernières élections au Parlement européen et, d’autre part, par le renouvellement de la Commission. Les deux premiers de ces événements pourraient engendrer une fermeture temporaire de l’UE sur elle-même et reléguer les affaires étrangères au second plan. Le troisième génère une inertie, négative encore sur le versant extérieur, dans la mesure où il faut au nouveau Commissaire du commerce de l’Union Européenne un certain temps pour prendre connaissance des dossiers et, par la suite, redémarrer les négociations.
29 Ici aussi, la marge de manœuvre de la gauche brésilienne au pouvoir face au projet d’établissement d’une zone de libre échange entre le Mercosur et l’UE est étroite. Comme pour la négociation de la ZLEA, le décalage entre les intérêts en jeu est abyssal : le Mercosur est favorable à une ouverture large des marchés agricoles et de matières premières, d’une part, et ses partenaires, États-Unis ou UE, exigent en retour un accès élargi aux marchés de services et aux marchés publics, d’autre part. L’alternative trouvée par le gouvernement Lula afin de répondre à l’échec des relations avec Washington et Bruxelles est la mise en place d’accords avec ses partenaires de l’hémisphère sud.
30 Les rapports que l’on peut qualifier de Sud-Sud occupent une part non négligeable dans la politique extérieure conçue par le gouvernement de Lula. Ces deux dernières années, par le biais du Mercosur, l’Itamaraty a noué des relations privilégiées avec un certain nombre de pays émergents tels l’Inde, l’Afrique du Sud et ses partenaires de la SACU[38] [38] La SACU, Southern African Customs Union, est constituée...
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et, plus récemment, avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG)[39] [39] Le Conseil de coopération du Golfe est formé par Les Émirats...
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. L’Accord de commerce préférentiel Mercosur-Inde a été signé le 25 janvier 2004 et a pour objectif, du point de vue économique, d’accroître les flux de commerce entre les deux partenaires qui, en 2003 s’élevait à 1,5 milliards de dollars, avec un surplus pour le Brésil équivalent à 55% de cette valeur[40] [40] h http :/ / www. mre. gov. br/ portugues/ politica_ externa/ mercosul/ india/ Fact %20Sheet %...
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. De son côté, l’Accord de commerce préférentiel Mercosur-SACU a été conclu le 16 décembre 2004 et s’attache, lui aussi, à amplifier les échanges commerciaux entre les deux partenaires, échanges qui, en 2003, s’élevaient à presque un milliard de dollars, les exportations brésiliennes représentant 78% de cette somme[41] [41] h http :/ / www. mre. gov. br/ portugues/ politica_ externa/ mercosul/ sacu/ Fact %20Sheet %...
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. Enfin, le dialogue Mercosur-CCG prend la même direction que les négociations avec l’Inde et la SACU, c’est-à-dire la conclusion d’un accord de préférences tarifaires. D’après la sous-secrétaire aux questions politiques à l’Itamaraty, Vera Pedrosa, “la croissance du commerce entre ces pays fait partie de l’orientation que le président Luiz Inácio Lula da Silva a donnée à la conduite des relations extérieures du pays depuis son investiture, marquée par une priorité aux partenariats entre les pays de l’hémisphère sud”[42] [42] CORREIA K. , op. cit. , 2005. ...
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. Selon la Chambre de commerce arabo-brésilienne, les exportations du Brésil vers les pays du CCG ont augmenté de 72 % en 2004, le surplus brésilien étant de 33 milliards de dollars[43] [43] Ibid. ...
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. Ainsi, le gouvernement du PT tente-t-il, tout simplement, d’encadrer institutionnellement une pratique qui, de facto, existe déjà, dans le but de la renforcer et de la pérenniser.
31 Néanmoins, même si l’objectif final des trois accords est la formation des zones de libre échange et la diversification des marchés, à terme ces rapports Sud-Sud ne peuvent pas se substituer aux relations Sud-Nord : “le commerce Sud-Sud ne deviendra pas rentable si rapidement que cela. La Chine sera un dur concurrent pour les industriels du Brésil, ainsi qu’un marché prometteur pour ses produits. L’Inde est une des économie les plus protégées du monde (… ). La prudence de Lula dans ses relations avec les États-Unis est compréhensible, surtout en l’absence de progrès dans les négociations commerciales globales”[44] [44] Voir “Looking south, north or both ?”, From The...
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. A fortiori, si l’on considère la question du transfert de technologie, les négociations Sud-Sud peuvent être comprises non pas comme exclusives, mais comme un effort complémentaire.
32 Pourtant, au-delà de cette démarche dans le domaine commercial, l’on peut entrevoir dans l’attitude des décideurs brésiliens la volonté de constituer une résistance d’ordre politique destinée à réunir des puissances régionales. Tant le Brésil, que l’Inde ou l’Afrique du Sud jouent un rôle avéré de leadership dans leurs régions respectives. Ils partagent une perception des relations internationales qui les rapproche, notamment dans leurs prises de positions. Par exemple, ils se sont tous engagés fermement dans le débat sur la réforme des institutions onusiennes, chacun défendant sa propre reconnaissance comme membre permanent du Conseil de Sécurité. Ainsi, par le biais de ces accords avec l’Inde, la SACU et le CCG, le gouvernement du Parti des travailleurs cherche-t-il à modifier les régimes internationaux pour les mettre en conformité avec les positions et les principes qu’il défend auprès de son électorat. La difficulté pour le Brésil est de concilier ses intérêts nationaux spécifiques avec ceux de ses partenaires au sein du Mercosur, tout en les rendant compatibles avec ceux des autres puissances régionales avec lesquelles il construit des partenariats.

Considérations finales

33 La redéfinition politique engagée par la gauche au Brésil n’a rien d’original. Elle est comparable, dans ses grandes lignes, aux processus intervenus ailleurs. Le clivage gauche-droite étant aujourd’hui moins marqué, ce qui ressort des actions des gouvernements dits de gauche se résume à l’acceptation, marquée de faibles nuances, d’une démocratie de marché fortement désidéologisée.
34 L’insertion dans la mondialisation conditionne fortement ces choix gouvernementaux, compte tenu du haut degré d’interdépendance qui en découle. Par exemple, les flux de capitaux, essentiels à la formation de l’épargne dans les pays en développement, atteignent une volatilité vertigineuse et migrent à toute vitesse vers les rémunérations les plus élevées. L’investissement étranger direct, qui se déplace de plus en plus facilement, favorise ainsi des espaces politiques stables, où les risques de crise institutionnelle et sociale sont minimes. L’action publique doit donc se conformer à ce contexte international sans pour autant négliger les demandes sociales pressantes des citoyens. Cette insertion dans la mondialisation incite à la création des nouvelles formes d’organisations politiques, capables de diminuer l’entropie du système international et, en même temps, d’améliorer l’efficacité dans la gestion de la chose publique. C’est dans ce contexte que les processus d’intégration régionale tel le Mercosur recèlent un effet d’entraînement politico-économique de taille, par le passage de la sphère marchande à des questions d’ordre politique et social.
35 Le Parti des travailleurs est une organisation foncièrement hétéroclite. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, son principal adversaire, est issu d’une tendance qui, en son propre sein, n’acceptait pas les principes libéraux. Cette scission est cependant minoritaire, et l’organisation est aujourd’hui dominée par une orientation bien moins orthodoxe du point de vue idéologique. Représentée au gouvernement par le Ministre de l’économie, Antônio Palocci, elle façonne l’action publique mise en œuvre par le PT, et a pour objectif la modernisation de l’État. Cette gouvernance, marquée le tandem du “coûter moins, travailler mieux” et de la responsabilité administrative, ne permet pas la promotion de mécanismes démocratiques de redistribution, en dehors des procédures du budget participatif, limitées au niveau municipal. Par exemple, le document intitulé Fondements d’un projet pour le Brésil, écrit par les courants modérés du Parti des travailleurs, exprime un soutien clair à l’autonomie des agences régulatrices, un des piliers de la réforme de l’État conduite par le PT : “elles sont la condition première pour attirer de nouveaux investissements privés et constituent un message sur net de la stabilité des règles économiques”[45] [45] CABRAL O. , “Crise de Identidade”, Veja (Rio de Janeiro),...
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.
36 L’arrivée de la gauche au pouvoir, au Brésil, ne s’est donc pas traduite par un changement net dans les politiques gouvernementales, ce qui limite la portée de l’alternance. C’est dans le cadre d’une gouvernance à niveaux multiples que s’inscrit cet aggiornamento politique de la gauche brésilienne; dans la combinaison des contraintes imposées par l’insertion mondiale du Brésil, par l’administration de l’État et de ses unités subnationales, par les processus d’intégration régionale, sans oublier les organisations sociales et leur rôle croissant dans la médiation des attentes citoyennes. La majorité des réformes en cours est d’inspiration libérale et ne propose presque rien de novateur de point de vue politique, économique ou social. Cette posture de la gauche ne découle pas d’une redéfinition de son idéologie, mais est le résultat du constat selon lequel l’exclusion des régimes internationaux et la suspicion des États puissants comportent des risques insurmontables. Elle est, en définitive, l’effet de l’accès au pouvoir et de son exercice.

Annexe

Annexe : Le Brésil commercial

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Notes

[ 1] Aujourd’hui, l’éventail des positions politique correspond plutôt à un continuum dont les paliers sont tellement rapprochés que l’on a du mal à les distinguer, dans un enchevêtrement idéologique qui rend difficile au citoyen la compréhension des codes des discours politiques. Voir BOBBIO N., Destra e sinistra : ragioni e significati de una distinzione politica, Donzelli, Roma, 1994.Retour
[ 2] Cf. HOCKING B., WALLACE W., Multi-Level Governance : an Overview, ECPR Joint Sessions of Workshops, Bern, multigr., 27 février – 04 mars 1997.Retour
[ 3] Voir à ce sujet l’entretien avec Roberto Romano, professeur d’éthique et de philosophie politique de l’Université de Campinas – Unicamp. Veja (Rio de Janeiro), 16 février 2005.Retour
[ 4] SINGER A., O PT, Publifolha, São Paulo, 2001.Retour
[ 5] CHACON V., História dos Partidos Brasileiros, Editora da UnB, Brasília, 1981.Retour
[ 6] Voir KECK M.-E., Workers’ Party and Democratization in Brazil, Yale University Press, New York, 1995.Retour
[ 7] SINGER P., Um governo de esquerda para todos : Luiza Erundina na Prefeitura de São Paulo ( 1989-1992), Editora Brasiliense, São Paulo, 1996.Retour
[ 8] Aujourd’hui le PT dirige 412 mairies, sur un total d’environ 6.000 villes. Cf. http ://www.pt.org.brRetour
[ 9] En 2002 a eu lieu non seulement le scrutin présidentiel, mais aussi les scrutins destinés à élire les députés fédéraux, les sénateurs, les gouverneurs et les députés des États fédérés.Retour
[ 10] C’est le cas de la création du Parti socialisme et liberté (PSOL), né de la dissidence des parlementaires du PT, à l’initiative de Heloísa Helena (sénateur de l’État d’Alagoas), Babá (député de l’État du Pará) et Luciana Genro (député de l’État du Rio Grande do Sul). Cf. http ://www.psol.org.brRetour
[ 11] “Responsabilité” est employé ici au sens de l’anglais accountability. SADER E., “Rendez-vous manqué avec le mouvement social brésilien”, Le Monde Diplomatique, Paris, janvier 2005.Retour
[ 12] SGARD, Jérôme, “Le réformisme radical de Lula”, Critique Internationale (Paris), n° 20, Juillet 2003, p. 8-17.Retour
[ 13] REZENDE, Flávio C., Por que falham as reformas administrativas ?, FGV, Rio de Janeiro, 2004.Retour
[ 14] BRESSER PEREIRA, Luiz Carlos, CUNILL GRAU, Nuria, O público não-estatal na reforma do Estado, FGV, Rio de Janeiro, 1999.Retour
[ 15] Au Brésil, les “organisations sociales” constituent des sujets juridiques de droit privé, sans but lucratif, tournés vers des activités sociales qui ne nécessitent pas d’autorisation des pouvoirs publics. Elles sont créées par des personnes privées et sont reconnues, imposées et subventionnées par l’État. Au sens large, les organisations sociales mettent en place une forme de partenariat entre l’État et les institutions privées d’intérêt général ou, sous un autre angle, une forme de participation populaire dans la gestion administrative. Voir MODESTO P., “Reforma Administrativa e Marco Legal das Organizações sociais no Brasil”, Revista Diálogo Jurídico, n° 1( 9), décembre 2001.Retour
[ 16] D’ARCY F., “Dix-huit mois après l’accession de Lula au pouvoir, où en est le Brésil ?”, Les Études du CERI, Paris, n° 105, juillet 2004.Retour
[ 17] Lors de la campagne électorale, Lula a promis d’augmenter de 100% le salaire minimum durant son mandat.Retour
[ 18] Le Comité de la politique monétaire (Copom) de la Banque centrale, organe directement responsable des changements de taux intérêts, souligne que “l’existence de quelques foyers localisés de pression inflationniste, la détérioration récente du contexte extérieur avec l’augmentation des prix du pétrole et une plus grande incertitude en ce qui concerne la conduite de la politique monétaire nord-américaine ont augmenté les risques auxquels se trouvent soumises les perspectives de contrôle de l’inflation”, et que, donc, la hausse des taux d’intérêts serait une réponse inévitable. Cet exemple illustre la place des forces exogènes issues des différents régimes sur la politique interne du Brésil. L’arrivée de la gauche au pouvoir n’a pas réussi à rompre cette dépendance. Voir D’AMORIM S., “Copom diz que cenário externo vai determinar a trajetória do juro”, O Estado de São Paulo (São Paulo), 25 mars 2005.Retour
[ 19] WHITEHEAD L., “Idéias econômicas, doutrina e política na América Latina : os fundamentos movediços do liberalismo econômico na formação das políticas públicas”, in SOLA L. et al., Banco Central : autoridade política e democratização – um equilíbrio delicado, FGV, Rio de Janeiro, 2002.Retour
[ 20] Voir le tableau situé en annexe de cet article.Retour
[ 21] Voir MEDEIROS M., La Genèse du Mercosud, Paris, L’Harmattan, 2000.Retour
[ 22] Selon le préambule du Traité d’Asunción, “une union chaque jour plus étroite entre les peuples” constitue l’objectif de long terme du Mercosur.Retour
[ 23] Le secrétaire général est le numéro deux dans la hiérarchie du ministère des Affaires étrangères. L’Itamaraty est le bâtiment où se trouve abrité ce ministère et, par extension, le terme désigne le ministère lui-même.Retour
[ 24] Cuba est exclue de cette négociation.Retour
[ 25] Voir le site du Parti des travailleurs : h http ://www.pt.org.br,consulté le 27 avril 2005.Retour
[ 26] Ibid.Retour
[ 27] Voir le tableau situé en annexe de ce texte.Retour
[ 28] Selon la logique de la négociation unique, dite du “single undertaking”, la discussion sur la ZLEA est abordée dans son ensemble et non par secteur, comme le souhaitent les États-Unis. On négocie par étapes, mais on conclut globalement. La logique de la négociation par blocs, dite du “building blocks” conçoit la discussion sur la ZLEA entre les ensembles régionaux déjà existants, Mercosur, ALENA ou Communauté andine des nations (CAN), pas entre États, comme le désire Washington.Retour
[ 29] BELANGER L., “U.S. Foreign Policy and the Regionalist Option in the Americas”, in BELANGER L., MACE G., (eds), The Americas in Transition : The Contours of Regionalism, Lynne Rienner, Boulder, 1999.Retour
[ 30] “Rompendo a estratégia de cerco no acordo da Alca”, Gazeta Mercantil, 15 avril 05, p. A-3.Retour
[ 31] USTR : United States Trade Representative. Branche de l’exécutif nord-américain chargée des négociations commerciales.Retour
[ 32] Cafta-RD : Central American Free Trade Agreement – Republica Dominicana. Les groupes de pression liés aux secteurs de la production de biens primaires, ainsi qu’aux organisations écologistes et syndicales effectuent des démarches auprès du Congrès des États-Unis afin de protéger leurs intérêts face à la concurrence externe.Retour
[ 33] Voir le tableau situé en annexe de ce texte.Retour
[ 34] Le Groupe latino-américain de Bruxelles est un organe de coordination qui réunit les ambassadeurs latino-américains auprès de l’Union européenne. Voir SARAIVA M.G., The European Union as an International Actor and the Mercosur Countries, Working Paper, multigr., Institut universitaire européen, Florence, 2004.Retour
[ 35] En 1983, les Chefs d’État de la Colombie, du Mexique, du Panama et du Venezuela se sont réunis dans l’île panaméenne de Contadora dans l’objectif de promouvoir la pacification de l’isthme centraméricain. Rejoints en 1985 par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, ils ont décidé en 1986 de renforcer et systématiser la coopération politique entre leurs gouvernements.Retour
[ 36] Voir VENTURA, Deisy, As assimetrias entre o Mercosul e a União Européia : os desafios de uma associação inter-regional, Manole, São Paulo, 2003. L’article 113 du Traité de Rome traite essentiellement de la politique commerciale commune et de la mise en place des accords avec un ou plusieurs États ou organisations internationales. L’article 235 définit les conditions dans lesquelles le Conseil européen peut disposer des pouvoirs nécessaires à la réalisation des objectifs de la Communauté. Pour plus de détails voir les Traités de Rome, Maastricht et Nice sur le site : http ://europa.eu.int/Retour
[ 37] PEÑA, Félix, “La dimensión económica y comercial en las negociaciones del acuerdo entre el Mercosur y la Union Europea”, in El Mercosur y la Unión Europea, Delegacion de la Comisión Europea en la Republica Argentina/Untref/CEFOP, Buenos Aires, 2004.Retour
[ 38] La SACU, Southern African Customs Union, est constituée par l’Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland.Retour
[ 39] Le Conseil de coopération du Golfe est formé par Les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, le Koweït, Oman, Qatar et Bahreïn. Voir CORREIA, Karla, “Mercosul quer negociar acordo de livre comércio com árabes”, Gazeta Mercantil, 15 avril 2005, p. A-11.Retour
[ 40] h http ://www.mre.gov.br/portugues/politica_externa/mercosul/india/Fact %20Sheet % 20MercosulÍNDIA % 20(Acordo).doc. Données saisies le 31 mai 2005.Retour
[ 41] h http ://www.mre.gov.br/portugues/politica_externa/mercosul/sacu/Fact %20Sheet % 20Mercosul-SACU % 20(Acordo).doc. Données saisies le 31 mai 2005.Retour
[ 42] CORREIA K., op. cit., 2005.Retour
[ 43] Ibid.Retour
[ 44] Voir “Looking south, north or both ?”, From The Economist printed edition, 05 février 2004, http :// w www.economist.com/world,site consulté le 06 février 2004.Retour
[ 45] CABRAL O., “Crise de Identidade”, Veja (Rio de Janeiro), 20 avril 2005.Retour

Résumé

L’arrivée de la gauche au pouvoir, au Brésil, ne se traduit pas par un changement net dans les politiques gouvernementales, ce qui limite la portée de l’alternance. C’est dans le cadre d’une gouvernance à niveaux multiples que s’inscrivent les redéfinitions politiques de la gauche brésilienne; dans la combinaison des contraintes imposées par l’insertion mondiale du Brésil, par l’administration de l’État et de ses unités subnationales, par les processus d’intégration régionale, sans oublier les organisations sociales et leur rôle croissant dans la médiation des attentes citoyennes. La majorité des réformes en cours est d’inspiration libérale et ne propose presque rien de novateur de point de vue politique, économique ou social. Cette posture de la gauche ne découle pas d’une redéfinition de son idéologie, mais est le résultat du constat selon lequel l’exclusion des régimes internationaux et la suspicion des États puissants comportent des risques insurmontables. Elle est, en définitive, l’effet de l’accès au pouvoir et de son exercice.

Left-wing governance in the face of globalisation: the case of Brazil
The arrival in power of the left in Brazil was not reflected by a clear change in government policies, which limits the scope of alternation. Political redefinitions of the Brazilian left have taken place in the context of governance at multiple levels; in the combination of constraints imposed by Brazil’s global insertion, State administration and its sub-national units, through the regional integration processes, not to mention the social organisations and their growing role in the mediation of the general public’s expectations. Most of the current reforms are of liberal inspiration and offer almost nothing innovative from a political, economic or social viewpoint. This left wing stance does not result from a redefinition of its ideology, but is the result of the realisation that exclusion from international systems and the suspicion of powerful States constitute insurmountable risks. Ultimately, it is the effect of the accessing and exercising of power.

La gobernanza de izquiera ante los procesos de globalización: el caso de Brasil
La llegada de la izquierda al poder, en Brasil, no se traduce en un cambio neto en las políticas gubernamentales, lo que limita el alcance de la alternancia. Las redefiniciones políticas de la izquierda brasileña se inscriben en el marco de una gobernanza de múltiples niveles; en la combinación de las dificultades impuestas por la inserción mundial de Brasil, por la administración del Estado y sus unidades subnacionales, por los procesos de integración regional, sin olvidar las organizaciones sociales y el creciente papel que desempeñan en la mediación de las expectativas ciudadanas. La mayoría de las reformas en curso es de inspiración liberal y casi no propone nada de innovador desde punto de vista político, económico o social. Esta postura de la izquierda no se deriva de una redefinición de su ideología, sino que resulta de la constatación de que la exclusión de los regímenes internacionales y la sospecha de las potencias mundiales implican riesgos insuperables. Es, en definitiva, el efecto del acceso al poder y su ejercicio.

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