sexta-feira, 31 de dezembro de 2010

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Brésil : au dernier jour de son mandat, Lula refuse l'extradition de Battisti

LEMONDE pour Le Monde.fr | 31.12.10 | 17h24 • Mis à jour le 31.12.10 | 17h29


Cesare Battisti quitte le tribunal de Rio devant lequel il est jugé pour être entré sur le territoire brésilien avec un faux passeport.

Cesare Battisti quitte le tribunal de Rio devant lequel il est jugé pour être entré sur le territoire brésilien avec un faux passeport.AFP/ANTONIO SCORZA

Rio de Janeiro, correspondant - L'ancien activiste italien d'extrême-gauche, Cesare Battisti, ne sera pas extradé du Brésil vers son pays où il est sous le coup d'une peine de réclusion à perpétuité. Ainsi en a décidé, vendredi 31 décembre, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, au dernier jour de son mandat.

L'annonce du refus brésilien d'extrader Battisti a provoqué aussitôt un regain de tension diplomatique entre Rome et Brasilia. Par la voix de son ministre de la défense, Ignazio La Russa, l'Italie a qualifié cette décision d'"injuste et gravement offensante ".

"Les pires prévisions se sont avérées, a ajouté le ministre. Mais l'Italie tentera absolument tout afin que le Brésil revienne" sur ce choix. Brasilia a immédiatement répliqué en jugeant "impertinente" la réaction italienne exprimée la veille par Rome et qui estimait à l'avance "absolument incompréhensible et inacceptable" une éventuelle non-extradition de Battisti.

La décision du président Lula, prise "sur la base d'un rapport du procureur général", a été annoncée, vendredi, à Brasilia, par le ministre des affaires étrangères, Celso Amorim. Lisant un communiqué officiel, M. Amorim a précisé que "cette décision ne représente pas un affront envers un autre pays".

LA COUR SUPRÊME DE BRASILIA AVAIT AUTORISÉ L'EXTRADITION

Lula aura donc attendu les toutes dernières heures de son mandat présidentiel pour annoncer l'une des décisions les plus délicates – et fatalement controversée – qu'il aura eues à prendre. Samedi 1er janvier, il cède son fauteuil de chef de l'Etat à Dilma Rousseff, la première femme élue présidente du Brésil.

En théorie, il aurait pu l'annoncer depuis de longs mois. En novembre 2009, après plusieurs épisodes judicaires, la Cour Suprême de Brasilia avait autorisé, par cinq voix contre quatre, l'extradition de Battisti mais laissé, par une même majorité, au chef de l'Etat le soin d'exécuter cette décision.

Battisti a été condamné par contumace en 1993, en Italie, pour avoir commis ou préparé quatre homicides en 1978 et 1979 dont il s'est toujours proclamé innocent. Réfugié en France en 1990, après s'être échappé de prison, il est devenu auteur de romans noirs. En 2004, pour échapper à une extradition, il s'est enfui au Brésil, grâce à des faux papiers fournis, selon lui, par des agents secrets français.

Cesare Battisti, le 19 mars 2007, à Brasilia..

Le ministre de la justice brésilien,Tarso Genro, décide d'accorder le statut de réfugié politique à Cesare Battisti.AFP/VANDERLEI ALMEIDA

Arrêté à Rio de Janeiro, en mars 2007, il a été incarcéré dans une prison de Brasilia. En janvier 2009, le ministre de la justice, Tarso Gero, a octroyé à Battisti le statut de réfugié politique. En agissant ainsi, le ministre avait contredit l'avis défavorable à Battisti, formulé en novembre 2008 par le Comité national pour les Réfugiés.

LULA A PRÉFÉRÉ NE PAS SUIVRE L'AVIS DE LA COUR SUPRÊME

Le ministre, lui-même un ancien militant d'extrême-gauche, s'est toujours défendu d'avoir fait preuve de complaisance envers Battisti pour des raisons idéologiques. Il a mis en avant une jurisprudence datant de mars 2007 qui avait bénéficié à un ex-guérillero de la Farc colombienne.

L'Italie avait ensuite saisi la Cour Suprême en demandant que Battisti soit extradé conformément au traité signé en 1989 entre les deux pays. La Cour avait nié le caractère politique des "crimes de sang prémédité" imputés à Battisti. Elle avait autorisé son extradition à une seule condition, déjà acceptée par l'Italie : la réclusion perpétuelle qui frappe Battisti devait être convertie en une peine de trente ans de prison, conformément à la législation brésilienne.

Lula avait fait savoir à plusieurs reprises qu'il était hostile à l'extradition. Il a donc préféré ne pas suivre l'avis de la Cour Suprême. Nombre de ministres brésiliens, appartenant au Parti des Travailleurs de Lula et venus de l'extrême gauche, se sont sentis solidaires de Battisti, même si aucun ne l'a jamais reconnu ouvertement.

En Italie, la classe politique tout entière continue de condamner le comportement de Battisti qui n'a jamais exprimé le moindre repentir ni demandé pardon pour les crimes qui ont justifié sa condamnation.

Jean-Pierre Langellier