sexta-feira, 23 de julho de 2010

Liberation, sobre um outro pesadelo chines...

Consequencia do controle de nascimentos, raptis e comércio de crianças são moeda corrente. A polícia, quando não está implicada, com frequência é desprovida de meios.
Monde 22/07/2010 à 00h00

En Chine, le chemin de croix des parents d’enfants kidnappés

Reportage

Conséquence du contrôle des naissances, rapts et commerce d’enfants sont monnaie courante. La police, quand elle n’est pas impliquée, est souvent démunie. Rencontre avec des victimes.

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Par PHILIPPE GRANGEREAU Envoyé spécial dans le Shaanxi

Des parents protestent contre les kidnapping d'enfants qui se multiplient en Chine, en avril 2009.

Des parents protestent contre les kidnapping d'enfants qui se multiplient en Chine, en avril 2009. (Reuters)

Depuis que sa fille de 5 ans a été kidnappée à Xian (province du Shaanxi, au centre de la Chine), à la sortie du jardin d’enfants le 18 octobre 2005, Cheng Zhu n’a qu’une idée en tête : la retrouver. Peintre en bâtiment, Cheng s’est endetté jusqu’au cou pour s’acheter un minibus. Du capot au pare-chocs arrière, le véhicule est placardé de photos de la petite Ying et de dizaines d’autres enfants enlevés.

Dès qu’il a économisé assez d’argent, Cheng parcourt le pays pour tenter de la retrouver. «La dernière fois, j’ai fait 20 000 km en un mois. Peut-être que quelqu’un la reconnaîtra… Il s’agit aussi d’inciter les parents que nous rencontrons à la prudence car, en Chine, le kidnapping d’enfants est devenu un véritable phénomène social», déplore Cheng Zhu. Il a fait imprimer une immense banderole de 200 mètres de long avec les photos de 2 700 enfants kidnappés au cours des quatre ou cinq dernières années. «Quand je la déploie, ça attire beaucoup de curieux. Ils disent tous : "Comment est-ce possible qu’il y en ait autant ?" Je les étonne encore davantage quand je leur dis que ces 2 700 disparus ne représentent qu’une infime partie du total, et que seul six d’entre eux ont été retrouvés jusqu’à aujourd’hui.»

Ses périples l’ont amené à faire la connaissance de centaines de parents dans la même situation. Certains habitent à deux pas. Zhang Ping, jeune mère de famille, raconte comment son fils de 3 ans, Yang Wentao, a été kidnappé au seuil de leur domicile en 2008. «C’était l’hiver et on sortait. Le temps d’aller lui chercher un manteau pour qu’il ne prenne pas froid, il avait disparu… Aujourd’hui, quand je vois des gosses du même âge, je pense à lui et c’est très dur. Souvent, je me cloître pendant des jours entiers. Je fais des travaux de broderie en pensant que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue.»

Rançon. Feng Shehong, un agriculteur de Luochuan, ville proche de Xian, cultive des pommes dans un grand verger. Chaque fruit est soigneusement enveloppé dans un sac en papier pour l’abriter du soleil et des insectes. Son fils Feng Xi, 10 ans, a été enlevé le 27 janvier 2007 avec deux de ses camarades, alors qu’ils jouaient dans le verger. «Trois d’un coup… Il ne restait plus que leurs vélos quand on est arrivé», dit le couple de cultivateurs, dont les revenus ne dépassent guère 150 euros par mois. «Heureusement qu’on a "Petit Bijou", sourit Feng en désignant leur adorable fillette de 5 ans. Mais j’ai peur de la perdre elle aussi.» Les ravisseurs de son fils, ou en tout cas des interlocuteurs se présentant comme tels, l’appellent régulièrement pour menacer de la kidnapper s’il ne leur verse pas une rançon équivalente à 10 000 euros. La police ? «Elle ne fait rien.» Dans la maison troglodyte creusée à flanc de colline où vit le couple, débarquent les parents des deux autres gamins kidnappés dans le verger. Des gens simples au visage usé. Ils ont baissé les bras depuis longtemps. «La police dit que c’est impossible de les retrouver, et on n’a pas les moyens de mener des recherches», s’excuse le père d’une des victimes.

Non loin de Luochuan, Cheng Zhu rend visite à d’autres parents d’enfants enlevés - le cinquième couple de la journée. «Sans aller loin, je pourrais vous en présenter encore dix autres», dit Cheng. Les yeux ronds de chagrin, les infortunés déploient la photo, imprimée sur un calicot, de leur gamin de 2 ans et demi, Xing Mengzhuo, kidnappé le 13 janvier 2009 alors qu’il jouait sur le pas de la porte du petit commerce familial. «C’est un homme dans une voiture blanche qui l’a pris, dit le père, regard éteint. J’ai immédiatement sauté sur ma moto pour le prendre en chasse, mais il allait trop vite et je l’ai perdu de vue.»

Bonnes à tout faire. Des dizaines de milliers d’enfants sont kidnappés chaque année, estime Cheng Zhu. D’après les chiffres officiels, il y en aurait eu «seulement» 4 700 l’an dernier. Mais les statistiques sont faussées. «Même le gouvernement central doute beaucoup des chiffres livrés par les bureaux de police des provinces. Dire la vérité pourrait nuire à l’avancement des policiers», explique Zhang Zhiwei, un ancien juge devenu avocat. Il conseille le gouvernement sur les questions de kidnapping, dont il est l’un des meilleurs experts.

Le commerce d’enfants est ancré dans certaines traditions chinoises, que la politique de l’enfant unique et l’absence totale de filet social dans les zones rurales ont renforcées, expose-t-il. La préférence des paysans pour les garçons - gagne-pain de la famille et garant de la retraite - n’est que la plus connue. Dans le Henan, le Shanxi et le Shaanxi - trois provinces voisines dans l’est de la Chine -, les couples adoptent des filles en bas âge destinées à épouser le fils de la famille ; en attendant les noces, celles-ci servent de bonnes à tout faire. Cette tradition du tongyangxi (enfant élevé pour le mariage) connaît un regain de popularité en raison du déficit de femmes dans les campagnes. Cette disproportion des sexes résulte des taux élevés d’avortements sélectifs et d’infanticides féminins. L’exode massif vers les villes des brus potentielles accentue encore le problème.

Autre «tradition» : celle d’avoir un garçon et une fille au lieu de l’unique progéniture autorisée. Ce qui a conduit à un raffinement dans l’art de contourner l’interdit, en prétendant que la femme enceinte accouche de jumeaux, seule exception tolérée à la politique de l’enfant unique dans les villes (dans les campagnes, il est possible d’avoir un second enfant si le premier est une fille). Quelques milliers de yuans (un yuan vaut environ 12 centimes d’euro) suffiraient à corrompre les employés des hôpitaux afin qu’ils déclarent des jumeaux au lieu d’une naissance unique, l’autre enfant étant acheté clandestinement. «Dans certaines parties du Fujian [sud-est du pays, ndlr], le nombre de jumeaux déclarés est proprement sidérant, confirme l’ancien juge. Et lorsque la police arrive, même à grands renforts, pour saisir l’enfant vendu, tout le village fait bloc, encercle l’escouade policière et la renvoie.»

La persistance de ces pratiques est aggravée par le creusement des inégalités, note encore Zhang Zhiwei. «La plupart des enfants kidnappés sont ceux de travailleurs migrants, et la plupart des ravisseurs sont aussi des travailleurs migrants - qui peuvent gagner l’équivalent d’un an de revenus en vendant un enfant. Ils n’ont même pas l’impression de commettre un crime, la vente d’enfant étant tolérée dans beaucoup de régions.» Au point que dans certaines zones déshéritées, des villages se sont spécialisés dans la vente de leurs enfants. «Dans le Guizhou [sud du pays], on peut acheter un enfant pour une caisse d’œufs», dit l’avocat.

«Sauvetage». Un phénomène illustré par la récente affaire Yu Lixiang, une commerçante d’enfants condamnée à mort au printemps. Entre 2005 et 2009, cette paysanne, elle-même vendue dans son enfance, avait acheté 49 bambins dans le Yunnan (sud du pays) pour les revendre dans le Hebei (est). La «marchandise» était transportée par train. «Je ne faisais que rendre service», s’est-elle défendue durant les audiences. Sur les 49 enfants vendus, 47 ont été retrouvés et confisqués aux familles qui les avaient achetés. La police a transformé un commissariat en nurserie le temps du procès, et invité les vrais parents à reprendre leur progéniture. Mais aucun ne s’est présenté, sans doute parce qu’ils avaient vendu leurs enfants de leur plein gré. La police a finalement rendu tous les enfants aux familles qui les avaient achetées… Zhang Zhiwei, l’ancien juge, a milité pour cette solution : «Les conditions de vie dans les orphelinats sont très mauvaises. Il valait mieux les remettre à leurs acheteurs qui, a priori, s’occuperont bien mieux d’eux.»

«La police travaille beaucoup au niveau national pour résoudre les affaires de kidnapping, assure-t-il. Il existe désormais à Pékin un bureau dédié à ces dossiers. Son directeur déclenche sans relâche des opérations de sauvetage d’enfants.» Une banque ADN, récemment mise sur pied, a aidé de nombreux parents à retrouver leur enfant. Mais les policiers rechignent à effectuer ces tests, car c’est le commissariat local qui doit acquitter les frais. Cheng Zhu en a été témoin : «On m’a prélevé deux fois mon ADN en me faisant croire que le test avait été effectué. C’est seulement la troisième fois, l’an dernier, que mon ADN a été pris en compte.»

Les parents d’enfants kidnappés ont bien d’autres récriminations à l’encontre de la police, dont ils dénoncent presque unanimement l’inaction, voire la complicité au niveau local. Des dizaines d’entre eux ont protesté, en décembre 2008, devant le siège de la municipalité de Xian. Plus d’une centaine sont allés à Pékin la même année, dans l’intention de manifester le jour de l’inauguration des Jeux olympiques. «La police a été mise au courant, et on a tous été enfermés dans des chambres d’hôtel avant d’être renvoyés», se souvient un participant. «Le gouvernement chinois ne souhaite pas qu’on parle de ces affaires», confirme Zhang Zhiwei. «Non seulement la police ne nous aide pas, mais elle nous met des bâtons dans les roues», proteste pour sa part Cheng Zhu, qui a été plusieurs fois interpellé. Lors de son dernier voyage de recherche, son minibus était surveillé en permanence par trois voitures de police.